Si l’envolée du prix de l’essence à la pompe a des effets directs sur le pouvoir d’achat des français, l’augmentation drastique du baril de pétrole en a indirectement sur d’autres industries, dont celle de la mode. Explications.
Contrairement à ce que l’on avait pu espérer, la crise sanitaire n’a en rien entraîné une remise en cause de nos modes de vie et donc de notre consommation énergétique. La dépendance de nos sociétés aux énergies fossiles – dont le pétrole – reste très forte, et selon les analystes le sera pour au moins les cinq années à venir.
Or, depuis plus d’un an, le prix du baril de pétrole ne fait que grimper et cette augmentation est multifactorielle :
La reprise post-épidémique
Même si elle s’est faite en plusieurs temps au gré des différents variants, la reprise qui a suivi le plus fort de l’épidémie de Covid a provoqué une hausse soudaine de la demande de pétrole, alors même que la production avait fortement chuté (avec le record historiquement bas en avril 2020 à 17€ le baril). Or, la majorité des pays producteurs de pétrole n’a pas réussi à accroître sa production à hauteur de la demande.
Certes, les pays membres de l’OPEP ont décidé en janvier 2022 d’augmenter progressivement leurs exportations de pétrole, mais ils peinent à faire croître leur production, de même que le Nigéria, l’Angola ou la Libye. Or, de leur côté, les Etats-Unis ne sont pas parvenus non plus à revenir à leur niveau de production d’avant-crise. Conséquence logique : une augmentation constante du prix du baril du brut comme du Brent (pétrole brut de la Mer du Nord, la référence pour déterminer le prix du pétrole en Europe). Après avoir fortement chuté en 2020, son prix avait retrouvé en octobre 2021 son cours le plus haut depuis 2018 (soit 72€ le baril) et cette ascension continue depuis décembre 2021.
Les conséquences de la guerre en Ukraine
Selon l’INSEE, la Russie est le 3ème producteur mondial de pétrole avec 10 millions de barils par jour, dont 2 millions transitent vers l’Europe. Or, alors que montaient les craintes d’un embargo occidental sur les hydrocarbures russes, ou d’un arrêt des livraisons par Moscou après le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne, les prix du pétrole ont flambé. Deux semaines après l’offensive, le baril atteignait 139 dollars le baril pour redescendre à 106 (98€) le 24 avril. Des hausses qui oscillent entre 20 et 30% par rapport au 1er janvier.
Le conflit pourrait avoir des répercussions très fortes, selon les mots du Ministre de l’Economie Bruno Le Maire en mars 2022 : « ce choc énergétique de 2022, est comparable en intensité, en brutalité, au choc pétrolier de 1973 ». Un “choc mondial de l’offre pétrolière” est redouté par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), et la menace d’un baril à plus de 150 dollars plane.
Les conséquences immédiates de la hausse du prix du pétrole sur l’industrie textile
Dans le secteur de la mode, la hausse du prix du pétrole se répercutent :
- Sur le prix de certaines matières premières
Le coût du pétrole a un impact direct sur le prix des textiles puisqu’il est le produit de base pour fabriquer des tissus synthétiques, comme le polyester, le polyamide, l’élasthanne, le nylon, l’acrylique ou encore le polyester recyclé. - Sur les coûts annexes
Le transport de marchandise est lui aussi affecté. Il l’est déjà par le coronavirus, quand le premier port mondial, celui de Shanghai, est quasiment à l’arrêt pour cause de confinement depuis février 2022. Mais les répercussions de la hausse du pétrole jouent là aussi, comme sur toutes les marchandises. Le prix du transport d’un conteneur a ainsi quasi quadruplé par rapport à avant la crise sanitaire. Des augmentations qui ne peuvent qu’être répercutées sur le prix des tissus comme des vêtements.
La Fast Fashion « pas inquiète » dans l’immédiat
A fin 2021 – soit avant la deuxième flambée du pétrole – les géants du marché textile affichaient encore un certain « optimisme ». A ce moment, le coût des matières synthétiques n’avait augmenté « que de 20% », soit bien moins que celui des matières naturelles.
Associated British Foods, la maison mère du mastodonte britannique Primark, assurait alors à l’AFP que l’augmentation de ses coûts de fabrication n’induirait pas d’augmentation des prix, grâce à un taux de change favorable et une baisse des coûts d’exploitations des magasins. Et le suédois H&M assurait être “habitué aux fluctuations du coût des matières premières ainsi qu’à d’autres facteurs externes qui pourraient potentiellement impacter les coûts d’achat”.
L’envolée des prix des matières premières textiles naturelles
Si le pétrole était la seule matière première à connaître une forte inflation, les conséquences sur le marché textile devraient rester limitées. Or, ce n’est pas le cas. En effet, le coût des matières premières naturelles utilisées dans l’industrie textile a fortement augmenté depuis 2019. De plus, sachant qu’il faut entre 12 et 18 mois pour voir les pleines répercussions des choix de matières premières sur des marques dites « classiques » – le temps des achats de tissus, de création puis de production des collections – ce n’est sans doute qu’en 2023 que l’on verra les pleines répercussions de ces différentes hausses de prix sur le choix des matières.
Le coton, la laine et la soie
En février 2022 le prix du coton a atteint son niveau plus haut : 1,29 dollar la livre (1,16 euro pour 0,45kg environ), soit une augmentation de près de 45% sur un an. Il faut remonter à juillet 2011 pour trouver un cours plus élevé. L’explication : alors qu’ils sont le troisième producteur – après la Chine et l’Inde – et le premier exportateur mondial, les Etats-Unis font face à une sécheresse prolongée dans plusieurs régions de la « cotton belt » (ceinture de coton, dans les états du Sud). L’Inde également ne parvient pas non plus à retrouver son niveau de production d’avant 2020 pour des raisons météorologiques, les moussons ayant été moins importantes en 2021. La filière bio est encore plus concernée. Sur une année, les tarifs ont augmenté de 90%.
La laine a, elle, vu son prix croître de 43% entre septembre 2020 et septembre 2021 Et la soie de près de 32%.
Lin et Chanvre eux aussi à la hausse
Au lendemain de la pandémie et des premières augmentations, on a pu voir un engouement pour des matières plus « développement durable » et plus locales. Ce dernier argument pourrait devenir un facteur de décision d’ordre économique autant que responsable, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors. Si le lin et le chanvre sont des choix durables, ils sont désormais aussi économiques.
Ainsi, en ce printemps 2022, le lin fait une poussée remarquable dans les collections, de Uniqlo à Ralph Lauren, de Petit Bateau à Comptoir des Cotonniers. La demande pour cette fibre, dont la France est le premier producteur mondial (avec 80% de la production mondiale, soit 160 000 tonnes produites et 130 000 tonnes exportées en 2021), ne fait qu’augmenter depuis dix ans, portée notamment par la Chine et l’Inde.
Quant au chanvre à destination textile, la France en est le 1er pays producteur européen et 4e mondial de chanvre (derrière la Chine, le Canada et les États-Unis). En 2021, 20 0000 hectares y ont été implantés. Pour l’instant, sa demande pour la fabrication de vêtements reste limitée à des lignes très « engagées ». Mais alors que les coûts de production et de transport augmentent considérablement, et que certains acteurs français ont commencé un travail de relocalisation en recréant des filatures françaises, les fibres « Made in France » ont le vent en poupe.
On le voit, la hausse du prix du pétrole a de fortes implications directes et indirectes sur l’industrie textile. La première sera sans doute une hausse des prix des produits finis, soit une augmentation de prix en magasins. Mais pour les années à venir, il est probable que les fabricants cherchent à se tourner vers de nouvelles matières premières moins énergivores et moins dépendantes du pétrole, et des énergies fossiles en général.