On aimerait répondre d’un non catégorique, affirmer que les mentalités ont définitivement changé, que les nouveaux entrepreneurs comme les consommateurs d’aujourd’hui sont concernés par le développement durable avant tout…
La mode, est-elle vertueuse ?
Depuis quelques années, les marques qui décollent en France sont celles qui ont adopté des valeurs durables : le Slip Français, Sézane, Veja… Surtout dans les secteurs du jean et des baskets, les jeunes pousses sont porteuses de valeurs éthiques, cherchent le Made In France, en circuit court, avec des matières premières bio ou recyclées. Et ça marche !
Elles ont su attirer de nouveaux consommateurs, les Millénials notamment, sans doute par leurs valeurs en rupture, mais peut-être surtout – ne nous leurrons pas – par leurs produits trendy, leur discours et leur communication décalés, et un storytelling inspirant, bien dans l’air du temps.
Ces marques auraient-elles connues un tel succès en affirmant seulement leurs valeurs de développement durable ? Incontestablement non. Il suffit, pour en juger, de regarder le sort réservé aux quelques marques de textile bio sans autre discours. Enfin, il faut souligner un point essentiel : ces marques s’adressent à des populations ayant – ou se donnant – les moyens d’acheter des articles dont le prix moyen est bien plus élevé que la moyenne.
À l’opposé, devant la demande croissante <44 % des personnes âgées de 17 à 26 ans déclarent souhaiter une utilisation accrue de tissus eco-friendly dans la mode>, de plus en plus de grandes enseignes se lancent dans la commercialisation de produits certifiés bio ou éthique. Selon une étude de l’IFM (Institut Français de la Mode), ces marques souvent issues de grands groupes, adoptent la tendance éco pour améliorer leur image (83 %) ou augmenter leur chiffre d’affaires (65 %). Plus vertueux, certes, mais par opportunisme également. Et que dire quand on sait que la même étude révèle que seulement 8 % des enseignes textiles considèrent le développement durable comme une priorité.
Il faut être accessible à toutes les bourses
2020 a été une année noire pour le secteur de l’habillement. Si les ventes en ligne ont surperformé (+42 %), le chiffre d’affaires dans son ensemble aurait chuté de 55 %. À cette crise conjoncturelle, s’ajoute un chiffre structurel inquiétant : le budget des ménages alloué à la consommation d’habillement a reculé de dix points entre 1990 et 2020.
L’achat de vêtements – considéré comme non prioritaire – est fortement soumis au budget des ménages. Et lorsque le budget est serré, on regarde avant tout le prix.
En effet, selon l’IFM, 58 % des ventes totales réalisées sur le web le sont sur des produits à prix barrés. En 2020, les grands gagnants des achats d’habillement ont été Vinted, Vestiaire Collective, Veepee et Showroomprivé, des sites de seconde main ou de solderie donc, sites également plébiscités par les Millenials. Quant aux plus jeunes, au budget encore plus serré, ils n’hésitent pas à acheter sur des sites comme Shein ou à se fournir dans la Fast Fashion. Pour la majorité d’entre eux, la durabilité et l’éthique restent des questions très accessoires.
Or, la plupart des marques éthiques ont intégré parmi leurs valeurs le refus des promotions incessantes type Black Friday, ventes privées et autres.
Des entrepreneurs opportunistes
Résultat : à côté des marques aux valeurs éthiques, apparaissent nombre de mini labels qui travaillent en flux tendu en « customisant » des vêtements préconçus et achetés à bas prix aux mêmes fournisseurs que ceux de la Fast Fashion. C’est d’ailleurs l’un des modèles préconisés aux jeunes entrepreneurs qui souhaiteraient lancer leur marque de mode.
Et ce d’autant plus que l’un des marchés qui performe le mieux dernièrement est celui du streetwear, qui n’est pas le plus éthique qui soit. Nombre de sites ou boutiques proposent ainsi des tee-shirts ou sweat-shirts fabriqués en Asie ou au Maghreb, customisés à la demande sur place.
Il reste donc bien plus facile et plus rentable de lancer un label qui utilise les ressources de la Fast fashion, mais la communication des labels trendy : des petites productions, en flux tendu ou à la demande, à prix très abordable. Quitte à ne durer qu’un temps, et à changer de concept au gré des tendances.
Vive la Métamode !
Résoudre le problème de surconsommation, d’exploitation des ressources naturelles et humaines, tout en soutenant la création et en vendant quand même des vêtements – pour l’instant chers -, est chose faite avec le virtuel. Cela peut paraître surréaliste, et pourtant, 2020 a vu l’explosion de la mode virtuelle. Et l’annonce de créations de Métavers par Jerry Zuckerberg (ex Facebook devenu Meta), mais aussi d’autres acteurs du web du futur, comme c’est déjà le cas sur le jeu Fortnite, promet un bel avenir à la mode numérique.
En pyjama chez nous, nous pourrons ainsi créer des avatars qui revêtiront des vêtements choisis, voire co-créés et achetés en ligne.
The Fabricant, pionnier de la mode virtuelle, a créé dès 2019 Iridescence, la première robe virtuelle, vendue 9500 $ aux enchères. Et collabore avec nombre de noms de la mode, comme Under Armour ou Puma, pour créer le screenwear. Ici, pas de saison ou de surplus, mais des vêtements créatifs, voire délirants, où la Mode reprend ses valeurs.
Et comme le dit le créateur de The Fabricant : « La production numérique de mode génère moins de 10 % des émissions de carbone dans son cycle de vie (0,7 g de CO2) par rapport à un vêtement physique (8 g de CO2). La mode numérique ne finira jamais dans les décharges, ne générera jamais de déchets plastiques et ne contribuera jamais à la pollution de l’eau. »
Il paraît donc difficile de créer uniquement des marques de mode éthiques et durables. Car celles-ci demandent de la part des acheteurs un certain pouvoir d’achat que la grande majorité – surtout les plus jeunes, plus grands consommateurs de vêtements – n’ont pas.
À l’opposé, avec l’apparition de la mode numérique, doit-on s’attendre à un futur où l’on ne porterait plus que des vêtements physiques écologiques, sobres et utilitaires et où la créativité et l’excentricité auraient lieu dans les univers numériques ? Utopie ou dystopie, à vous de voir.