Le groupe des experts du GIEC vient de publier le dernier volet de son 6ème rapport qui se penche tout particulièrement sur les émissions de gaz à effet de serre et aux solutions pour les réduire. Si les précédents volets concluaient à l’accélération du réchauffement de la planète et à la vulnérabilité accrue des populations, ce dernier rapport nous alerte sur l’urgence qu’il y a à agir.
Qu’est-ce que le GIEC ?
Ce Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat créé en 1988 rassemble 195 États membres qui étudient l’impact de l’activité humaine sur le réchauffement climatique. Il publie des rapports scientifiques dont les conclusions s’adressent aux décideurs et au grand public. Si ces conclusions alertent, elles aident aussi les pays à s’engager contre le réchauffement en prenant des mesures. Les scientifiques qui composent le GIEC viennent de diverses spécialités : économie, science, énergie… Ces disciplines sont réparties en 3 groupes qui fournissent chacun un volet de chaque rapport : WG1, WG2 ou WG3 pour « working group ». Le groupe 1 étudie les aspects scientifiques, physiques, et analyse les données passées présentes et futures. Le groupe 2 se concentre sur la vulnérabilité de nos sociétés modernes mais aussi sur les écosystèmes et les systèmes socio-économiques face au réchauffement et leurs conséquences en termes d’adaptation. Enfin, le groupe 3 se concentre sur les techniques et solutions de réduction des émissions de gaz à effet de serre, responsables des dérèglements climatiques. Le 5ème rapport a permis de montrer l’impact démesuré qu’aurait une augmentation des températures de +1,5°.
En quoi les rapports du GIEC sont-ils précieux ?
Le rapport du groupe 3, sorti en avril dernier (2022), concerne les solutions et les recommandations pour réduire les émissions de GES (gaz à effet de serre) et ainsi limiter le réchauffement climatique à +1,5°. Chiffre qui avait été fixé par les différents états lors de l’Accord de Paris en 2015.
Ces rapports du GIEC sont précieux parce qu’ils arrivent à un moment où nous manquons de temps pour répondre au problème. Ils rapportent des vérités qui parfois dérangent mais soulignent l’urgence de la situation.
Ils sont lus par des décideurs politiques ce qui leur donne un impact considérable sur les décisions prises en matière d’écologie. L’indiscutable expertise de ces rapports explique pourquoi les gouvernements s’appuient sur leurs données et suivent leurs diagnostics. De plus, ces rapports sont repris dans la presse. Résumés et vulgarisés, ils informent les citoyens et participent à de nombreuses prises de conscience. La partie 3 du dernier rapport présente les solutions nécessaires pour éviter la catastrophe climatique, écologique et sociale qui est déjà en marche.
Dernier rapport du GIEC : urgence !
Ce dernier volet du dernier rapport du GIEC a été rédigé par près de 300 experts d’après l’étude de 18 000 articles scientifiques environ. Le rapport se présente sous forme de 3 documents : un résumé destiné aux décideurs, un résumé technique et un rapport complet qui compte 17 chapitres : Introduction, Facteurs d’émissions, Chemins à long-terme, Chemins à court-terme, Aspect sociaux, Énergie, Agriculture, Villes, Bâtiments, Transports, Industrie, Perspectives intersectorielles, Politiques & institutionnel, Coopération internationale, Finance, Innovation et Accélérer la transition. Ce rapport tire la sonnette d’alarme en soulignant que nous avons pris une direction qui n’est pas compatible avec les objectifs de l’Accord de Paris. Il est donc impératif d’enclencher des politiques globales multi sectorielles portées par tous les acteurs possibles à tous les niveaux possibles, à l’échelle mondiale comme régionale. Seuls des changements profonds permettront, en réduisant les émissions de GES, d’éventuellement atteindre nos objectifs. Or, chaque année qui passe sans réduire les risques climatiques les aggrave et entraine des conséquences négatives (et couteuses) sur la société.
Certains états peinent encore à actionner franchement les freins. La preuve : 17% de tous les gaz à effet de serre émis depuis 1850 l’ont été ces 10 dernières années et continuent d’augmenter. C’est clair : les politiques actuelles ne suffisent pas à espérer atteindre le seuil des +1,5°C. Pour rester sous celui des +2°C, Il faudrait avoir baissé de 37 % nos émissions d’ici 10 ans !
Comment réduire les émissions de gaz à effet de serre ?
Les GES que sont les CO2, le méthane et le protoxyde d’azote, se positionnent au-dessus de la Terre comme un nuage qui agit comme un couvercle. En empêchant les rayons infrarouges (et leur chaleur) de les traverser pour s’échapper dans l’atmosphère, ils sont responsables du réchauffement climatique. Or, leurs émissions continuent d’augmenter. Le rapport montre que ce sont les populations les plus riches qui sont les plus responsables à cause de leur consommation très « carbonée » et cite que seule 10% de la population mondiale émet 36-45% des GES. Dans les pays sous-développés, un habitant émet en moyenne 1,7 tonne de CO2 par an, contre… 13 dans les pays développés ! Les experts ont aussi souligné la nécessité de ne pas développer l’usage des ressources fossiles (gaz, pétrole, charbon) responsables des émissions de GES, mais aussi et surtout d’arrêter certaines machines et infrastructures actuelles qui, si l’on continue à s’en servir sans rien changer, nous feront dépasser le seuil des +1,5°C. Et le rapport de préciser qu’il faut baisser de 43% nos émissions de GES d’ici 2030 pour rester en dessous des 1,5°C…
Un objectif incompatible avec nos trajectoires
Pour atteindre l’objectif des +1,5°C, la mise en place de politiques climatiques globales et le développement rapide de systèmes bas carbone sont essentiels.
Malheureusement, les pays n’ayant pas changé à temps, et les efforts étant tellement démesurés pour changer de trajectoire, il est de moins en moins probable qu’on y arrive nous dit le rapport. Ce dernier souligne qu’il ne faut pas pour autant baisser les bras : même si au-delà de +1,5°C les dégâts vont être considérables et en partie irrémédiables, limiter le réchauffement en dessous de 2°C sera de toute façon préférable. Mais pour s’arrêter à +2°, c’est 1/3 de nos émissions qu’il faut réduire. Le rapport indique que la taxe carbone serait un outil utile dans la mesure où il n’impacte ni l’emploi ni le PIB. Pour y parvenir, il faudrait également arrêter d’investir dans le charbon, le pétrole et le gaz, « décarboner » la production d’électricité, et employer un maximum d’activités électriques pour réduire les émissions de CO2.
Comment changer nos comportements ?
Pour la 1ère fois, le GIEC consacre un chapitre aux questions sociales et sociétales. Les experts expliquent qu’il est impératif de changer les modes de consommation car les progrès technologiques seuls ne suffiront pas à les réduire. Et ce d’autant plus qu’il est possible de changer les comportements sans rogner sur le confort. Le rapport propose d’adopter le trio : Avoid-Shift-Improve, en français, « éviter – transformer- améliorer ». En appliquant ce principe à tous les secteurs, il serait possible de réduire les émissions significativement. Pour les particuliers, cela implique : réduction de l’usage de l’avion et de la voiture au profit des transports publics, de la marche ou du vélo, diminution de la consommation de viande, modulation de l’utilisation du chauffage et de la climatisation, et amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments. A noter dans le secteur des transports : si on électrifie de plus en plus, notamment les voitures, l’utilisation du carburant fossile dans l’aviation et les transports maritime reste un point faible de la décarbonation en cours. Les experts du GIEC estiment que les biocarburants et carburants de synthèse seront encore trop peu utilisés et le kérosène trop présent en 2050 pour une baisse suffisante des émissions de ce secteur. Côté alimentation, la consommation de viande doit être réduite car le méthane (émis par le bétail) a un pouvoir de réchauffement de l’atmosphère 80 fois supérieur au dioxyde de carbone !
Nécessaire sobriété
Le rapport souligne que pour faire changer les habitudes de la population il est nécessaire d’utiliser des leviers sociétaux et économiques. Il met en garde contre l’effet boom-rang des économies liées à l’économie circulaire, qui pourraient être réinvesties dans des produits dont la production émet des GES. Les experts du GIEC ont aussi souligné la nécessité d’adopter la sobriété au quotidien, c’est-à-dire d’adopter un mode de vie dont la consommation en énergie est la plus faible possible, tant pour les particuliers que les entreprises, notamment dans le domaine du bâtiment. En effet, ce secteur représentait 21% des émissions mondiales de GES en 2019, à cause des systèmes utilisés et des méthodes de productions des matériaux consommés. Le rapport rappelle l’intérêt d’approches combinées de rénovation et de construction pour tendre vers des bâtiments bas carbone. Le rapport a aussi montré que la justice sociale est un élément clé dans la gestion des impacts négatifs du réchauffement. Enfin, le secteur alimentaire représente aussi une forte part des émissions mondiales et exige d’instaurer des modifications à tous les stades de la production, en incluant la fin du cycle de vie c’est-à-dire la gestion des déchets.
Comment sortir des énergies fossiles et absorber le CO2 ?
Le rapport montre qu’il faut transformer nos systèmes énergétiques et réduire au maximum l’utilisation des énergies fossiles (gaz, charbon et pétrole) puisqu’elles sont responsables de l’émission des GES, mais il pointe l’aspect financier. Si les énergies fossiles bénéficient de forts investissements, les secteurs qui concernent la transition beaucoup moins. L’idée est à la fois de taxer les émissions de CO2, ce qui pourrait être suffisamment fort comme mesure pour faire drastiquement baisser les émissions, mais aussi de diriger les capitaux vers la transition. Alors que l’utilisation de l’électricité venant de sources renouvelables se développe, les experts avertissent sur le risque de se limiter uniquement à elles. Le rapport liste aussi les leviers de réduction des émissions que sont la multiplication des voitures électriques et des pompes à chaleur, la fermeture des centrales à charbon, l’utilisation de la biomasse ou encore la « Capture et Séquestration du Carbone ». Par exemple, l’agriculture est un secteur-levier qui peut jouer un rôle de balancier pour à la fois réduire ses propres émissions de CO2, mais aussi et surtout déployer des techniques d’absorption du CO2 via des « puits de carbone » comme la reforestation par exemple. Cette dernière présente de nombreux avantages écologiques pour compenser les émissions mais qui ne sont pas suffisants pour atteindre la neutralité carbone nécessaire. La mer est un autre « puit de carbone » naturel et développer le plancton qui permet de capter le CO2 permettrait de maintenir cet énorme réservoir à dioxyde de carbone.
L’urbanisation doit être repensée
L’urbanisation est responsable d’une forte part des émissions de GES, or elle continue d’augmenter au détriment de la nature : la transformation et le contrôle du développement urbain sont un levier prometteur pour limiter le réchauffement. Des techniques visent un développement économe en ressources qui permettraient de diminuer les émissions de GES, d’autres pourraient augmenter la densité de cohabitation pour une croissance plus compacte. Une transformation totale et absolue sera néanmoins nécessaire pour arriver à des émissions faibles ou nulles, et le rapport préconise 3 axes pour ce faire. Il faudra réduire la consommation énergétique de manière systémique, opérer une transition vers plus de systèmes électriques et intégrer l’absorption du carbone. Compte tenu de la concentration de l’activité et de la population dans les villes, ces changements présentent une forte marge de progression.
Ce dernier volet du 6ème rapport du GIEC est sans doute le plus complet et le plus précieux avec ses recommandations claires et nettes. Il faut changer, et vite. Mais surtout le rapport insiste sur la nécessité d’une action globale, transversale et mondiale comprenant aussi les aspects financiers pour réduire les émissions des gaz à effet de serre.
Les experts pointent le fait qu’agir présente des intérêts bien supérieurs tout en plaçant les principes d’équité et de justice sociale au centre des réflexions. En revanche, pour que la décarbonation soit efficace à l’échelle de la planète nécessite une coopération internationale et des actions transversales. Les experts sont formels : les accords passés ne sont pour l’instant pas suffisants pour obtenir le changement nécessaire.