Le savon a été utilisé pendant des siècles avant que les industriels n’inventent le gel douche. Parce qu’il était rétro -et un poil trop décapant- il est ensuite passé aux oubliettes. Et voilà qu’il fait son grand retour grâce aux tendances Cosmétique solide & zéro déchet. Est-ce une raison pour foncer les yeux fermés sur le savon ?
Un peu d’histoire
La première réaction chimique inventée par l’homme
Les égyptiens se lavaient déjà avec une forme de savon composé de gras animal et d’huiles végétales mélangés au trôna, un minerai proche de la soude. En Gaule, on trouve trace d’un mélange de suif de chèvre, de saindoux et d’huiles alimentaires, mêlé à des cendres. Ce sont ce que l’on appelle des « savons mous », sans cuisson.
C’est à Alep (dans l’actuelle Syrie) que des artisans inventent, un millénaire av. J.-C., le premier savon dur et son principe de fabrication, la saponification, qui est la plus ancienne réaction chimique inventée par l’homme. Le principe est décrit dans le plus célèbre traité de médecine arabe du Moyen-âge, le Kitab al-Mansouri fi al-Tib : un mélange d’huile d’olive, de soude végétale, de cendres de laurier et d’eau qui bout dans des chaudrons en cuivre. Les blocs de savons sont ensuite séchés 12 mois au soleil. Cette recette, qui aurait atteint l’Europe pendant les croisades, est l’ancêtre de tous les savons durs.
Alep, Castille et Marseille
Deux autres savons tirent leur réputation des échanges et bouleversements du Moyen- ge : le savon de Castille et le savon de Marseille. Tandis que le premier est réalisé à froid et qu’il contient uniquement de l’huile d’olive, le savon dit de Marseille est fabriqué à chaud, en excès de soude ensuite rincée. Car, contrairement aux idées reçues, le Moyen- ge est une période propice de l’hygiène et aux soins du corps. L’Édit de Colbert en 1688 réglemente la fabrication du savon de Marseille : à base d’huile d’olive pure de Provence, de sel et de soude directement acheminés de Camargue, mais l’utilisation de suif (graisse animale) est formellement interdite.
Avec les premières colonies, et la rareté de l’huile d’olive, les savonneries se tournent vers d’autres huiles, notamment de palme et de coco, qui produisent un savon de Marseille de couleur blanche ou beige qui permet le lavage d’étoffes fragiles. En 1906, la mention « Extra pur 72% d’huiles » est définie par opposition aux savons qui commencent à s’industrialiser et qui peuvent contenir jusqu’à 50% d’eau. Car, à partir du XIXe siècle, la production du savon s’industrialise à outrance et en fait un produit ordinaire. Fabriqué avec des huiles bas de gamme, dont on sépare la glycérine pour la vendre à d’autres industries, il contient de plus en plus d’eau si bien qu’il assèche la peau. Jusqu’à ce que la pénurie de corps gras, à la fin de la Seconde guerre mondiale, et l’essor de la chimie engendrent l’apparition des tensio-actifs de synthèse, à l’origine des syndets et gels douche. Ces produits moins onéreux à produire rencontrent un grand succès. Comble de l’ironie, ces tensio-actifs de synthèse sont adoucis avec la glycérine vendue par les industries du savon !
Pourquoi le savon lave ?
Composé d’ingrédients naturels – des huiles végétales (huile d’olive, de palme, de noix de coco etc.) auxquelles on ajoute une base minérale (soude pour un savon dur, potasse pour un savon mou ou liquide) et éventuellement des ajouts comme le miel, le lait, les huiles essentielles- le savon a le pouvoir de fixer les graisses à l’eau de rinçage et donc de laver ! C’est d’ailleurs pour cela que l’on dit que c’est un détergent. Son pH est basique : entre 9 et 10 quand celui de la peau est à 5,5.
Le savon, écologique et économique
Le savon solide est plus économique
Bien plus économique qu’un gel douche, il dure longtemps et coûte moins cher.
Les savons liquides et gels douche contiennent majoritairement de l’eau (80%). L’eau étant propice au développement des bactéries, les formulateurs doivent ajouter des conservateurs afin qu’ils périment moins rapidement, surtout dans des environnements humides et chauds comme une salle de bain.
Les savons solides, par leur quantité réduite en eau (les savons ne sont pas sans eau comme on le lit souvent) mais surtout par leur composition, n’ont pas besoin de conservateurs.
Par ailleurs, un bon savon fabriqué dans les règles de l’art – qui ne se fend pas ou ne fond pas – dure des mois quand un gel douche de taille moyenne (500ml) dépasse rarement quelques semaines. Dire en revanche qu’un savon revient moins cher est un peu exagéré. Car, on le verra, un vrai bon savon de qualité est désormais un article quasi de luxe. Alors que le savon vendu en supermarché est certes bon marché, mais pour la plupart, de piètre qualité.
Vive le zéro déchet
C’est en grande partie ce qui a déterminé le retour en grâce du pain de savon : il est (quasi) zéro déchet. Un flacon de gel douche – même en plastique recyclé et recyclable – consomme des tonnes de plastique, des milliers de litres d’eau, des tonnes de CO2 à être transporté, et donne des déchets dont on ne sait pas vraiment si les filières de recyclage les traite correctement (particulièrement les tubes de gel douche difficilement recyclables). Alors qu’un pain de savon demande beaucoup moins de ressource pour sa production, son transport et ne nécessite que le recyclage de son emballage en papier ou carton, quand il n’est pas vendu à la coupe. Car, s’il est produit correctement, il est totalement biodégradable.
Il est nomade
Cerise sur le gâteau, le pain de savon, à condition de bien le sécher et de le glisser dans un filet ou une boîte métallique, se transporte aisément, dans une trousse de toilette, en voyage, sans se préoccuper de poids ou de millilitres en avion.
Le savon dans l’idéal et les autres savons….
On l’a vu, depuis le savon d’Alep ou son descendant de Marseille, les temps ont bien changé. Les méthodes industrielles, ou semi-industrielles, de fabrication ont profondément modifié les propriétés du savon. Celui que l’on achète pour 2€ en supermarché n’a rien à voir avec celui que l’on paie plus de 10€ chez un des derniers vrais savonniers qui maîtrise la fabrication de A à Z.
La savonnerie industrielle fait perdre ses qualités au savon
Les industriels ont depuis longtemps adopté la fabrication de savons « à chaud » ou « au chaudron ». Si c’est bien la méthode utilisée pour le savon de Marseille, ils l’ont transformée de façon à réduire drastiquement les délais, et du coup les propriétés du savon. Ainsi, le temps de séchage du savon passe d’un mois à un jour ! Ce procédé a, par ailleurs, un fort impact environnemental en consommation d’eau et d’énergie (il est chauffé entre 100 et 120°C). De plus, la chaleur oblige à choisir des ingrédients plus résistants mais dont la production initiale n’est pas écologique, comme l’huile de palme. Enfin, le savon est rincé à l’eau salée afin d’éliminer l’excédent de soude, éliminant aussi la glycérine bénéfique à la peau.
Ces savons industriels sont ensuite généralement réduits en copeaux, les bondillons. Or, aujourd’hui, près de 80% des bondillons sont produits en Chine ou en Malaisie et même les savons estampillés « savons de Marseille » sont produits majoritairement en Turquie ou en Chine.
Ces bondillons sont ensuite envoyés aux « savonneries semi-artisanales » qui ne fabriquent pas réellement leur savon mais sont des façonniers qui vont seulement colorer, mouler, parfumer, tamponner les pains obtenus dans une extrudeuse et parfois ajouter un peu d’huile. La preuve : un savon qui fond rapidement ou se fendille avec le temps n’est pas un bon savon. S’il se ramollit très vite, c’est qu’il contient trop d’eau et n’a pas séché assez longtemps lors de sa fabrication. Son « cœur » n’a pas eu le temps de durcir.
On peut malgré tout trouver de bons savons fabriqués à chaud, notamment dans les savons artisanaux de Marseille ou Alep, fabriqués avec des matières premières de qualité, en prenant son temps, et additionnés de glycérine ou d’huile (d’où leur nom surgras) en cours de fabrication. Il faut faire attention au lieu de fabrication et ne pas hésiter à poser des questions au revendeur.
La saponification à froid à privilégier mais rare
Comme son nom l’indique, la saponification à froid se fait sans cuisson. Mais cette méthode ne peut pas être industrialisée, car elle nécessite des matières premières d’excellente qualité et du temps long, puisqu’il faut plus d’un mois pour produire un savon. Les huiles et la soude sont mélangées et émulsionnées avant d’être mises en moule. La saponification crée une réaction exothermique à 60/65°C, ce qui conserve les propriétés des huiles. Puis vient la « cure », c’est-à-dire la période de repos du savon qui dure 4 à 5 semaines, pendant laquelle le savon sèche et se stabilise, car la saponification continue jusqu’à épuisement de l’un des réactifs (soude ou huiles) et la glycérine est naturellement produite durant ce processus. Ce processus est peu glouton en eau et énergie, mais les savons sont biodégradables et allient propriétés détergentes et hydratantes puisqu’ils gardent environ 10% de glycérine ainsi que les insaponifiables (comme leur nom l’indique, les ingrédients qui ne deviennent pas savon) : vitamines, terpènes, squalènes, phytostérols, etc… aux effets nourrissant, adoucissant, protecteur, antioxydant. Le problème : on ne trouve pas ce type de savons dans la grande distribution car ils sont produits par des petites entités et sont vendus plus de 5€ pièce.
Le savon, vraiment bon pour la peau ?
Qui n’est jamais sorti de chez un dermatologue en se voyant prescrire de se laver avec un bon savon de Marseille ? Et que répondre à cette prescription d’un spécialiste de la peau, qui a peut-être oublié que le savon est, par définition alcalin ou basique, et donc en non-adéquation avec le pH de la peau ? La preuve : en se lavant avec un savon basique (dans les deux sens du terme), on sort de la douche avec la peau qui crisse, qui ne glisse pas lorsque l’’on passe la main dessus, et devient rêche si on ne s’enduit pas assidûment de crème hydratante.
Voilà pourquoi on dit que le savon « décape » : il détériore le film hydrolipidique qui protège la peau et celle-ci se dessèche en conséquence. Seuls les savons ayant conservé leur glycérine permettent d’éviter ce problème.
Mais là encore, attention au parfumage et aux huiles essentielles qui, même s’ils sont rincés, peuvent provoquer des réactions sur certaines peaux très sensibles. Quant aux peaux abîmées ou atopiques, dont la barrière cutanée est altérée, elles doivent être particulièrement attentives à la composition du savon qu’elles utilisent.
Alors, faut-il revenir au savon ? Oui, mais seulement au bon vieux savon, fabriqué comme autrefois, dans les règles de l’art, avec un long temps de fabrication et de séchage, et des huiles de qualité, pures et vierges. Et non pas au savon industriel, plein d’eau et vidé de sa glycérine.
Le problème réside dans la difficulté à distinguer un bon vieux savon d’un savon industriel, car même les savons dits « Made In France » ne sont, en réalité, que façonnés en France ! Sinon, optez pour les pains surgras en pharmacie.