L’eau serait en passe de devenir plus précieuse que l’or noir. Les dérèglements climatiques et météorologiques accentuent les épisodes de canicule et de sécheresse mais aussi les tempêtes et les inondations alors que des régions françaises connaissent chaque année des restrictions d’eau. Entre stress hydrique et pénurie, où en sommes-nous exactement en France ?
De l’eau, une ressource en péril
Quand la demande dépasse la quantité d’eau disponible, on parle de stress hydrique : on ne peut plus se permettre de gaspiller, il faut alors réduire la demande sinon on va manquer d’eau et entrer dans la pénurie. L’eau est une ressource (on pourrait même dire re-source) naturelle que l’homme utilise pour boire mais aussi pour l’agriculture (et donc manger) ainsi que pour l’industrie où beaucoup de machines et processus de fabrication en consomment. Dans la société « moderne », cette ressource n’a pas toujours été utilisée avec conscience. La surconsommation pousse à plus de production, plus d’économie sur les procédures et à la délocalisation dans des pays où la réglementation écologique notamment sur la pollution de l’eau est plus souple, voire inexistante. C’est ce déséquilibre qui met aujourd’hui en péril l’accès à une eau douce propre à la consommation. En plus de cette surexploitation par l’homme, l’accès à l’eau est menacé par les dérèglements climatiques et le réchauffement climatique. En effet dans certaines régions du monde où l’on s’approvisionne aux puits, directement à la source. Et si la région est touchée par la sécheresse, si les précipitations (pluies) ne viennent pas la renflouer, la source se tarit. Le réchauffement climatique augmente également la fréquence et l’intensité des évènements météorologiques extrêmes (inondations, grêle, pluies intenses, tempêtes, sécheresses) qui perturbent le cycle de l’eau, la rendent impropre à la consommation, transforment les sous-sols et les plantes qui n’arriveront plus à bien retenir l’eau. Ces mécanismes expliquent les problèmes des ressources en eau, en particulier en été.
Cycle de l’eau
Les ressources d’eau naturelles, par opposition à des « sources » créées par l’homme (comme un canal ou un plan d’eau), sont constituées de nappes phréatiques souterraines, de rivières et de lacs… Elles sont alimentées par les précipitations : pluie, grêle, neige. En France, on comptabilise environ 480 milliards de m³ de précipitations par an. 61% s’évapore, 23% s’infiltre dans le sol pour reconstituer les réserves souterraines, 16% alimentent les cours d’eau (lacs, rivières, fleuves). Le manque de pluie, combiné a de fortes chaleurs, ne permet plus de reconstituer certaines réserves d’où la réglementation de l’utilisation de l’eau. Or, ce sont les pluies de fin d’hiver et de printemps qui s’infiltrent le plus pour être absorbées par les plantes qui sortent au printemps. C’est la conjonction d’une baisse des précipitations à ce moment-là et de températures très élevées en été qui déterminent le manque d’eau d’une région et entrainer la sécheresse. Les épisodes de canicule, qui se multiplient à cause du réchauffement climatique dû aux émissions de GES (gaz à effet de serre que sont notamment le CO2 et le méthane), ont une incidence directe sur la température de l’air. Le climat et ses régulateurs naturels (courants d’airs chauds ou froids) sont complètement dérèglés, ainsi que le cycle de l’eau (évaporation, nuages, précipitations…). Ces phénomènes peuvent provoquer des alternances inhabituelles de baisses et montées des températures du jour au lendemain, et donc entrainer un manque d’eau.
La sécheresse en France
82 % de l’eau utilisée en France provient des eaux de surface car il est plus facile de la prélever ici que sous terre, et cela coûte moins cher. Sauf pour l’eau potable qui vient, elle, à 62% des eaux souterraines, plus pures. Bien que les « stocks » en France restent positifs, la ressource n’est pas inépuisable et la sécheresse au sens propre du terme, apparait de plus en plus régulièrement et durablement. En effet, la sécheresse renvoie presque toujours au manque de pluie dans l’esprit des citoyens mais cela ne traduit pas toujours la réalité de la sécheresse des sols. On parle ainsi aussi de sécheresse agricole quand les sols de ne sont plus assez humides pour hydrater les cultures et de sécheresse hydrologique quand le niveau d’eau des nappes phréatiques descend anormalement. Ainsi, quand le haut de la réserve souterraine n’a plus d’eau, le sol au-dessus perd son humidité, et si elle alimente une source ou une rivière, leurs débits baissent. Dans ce cas, on a la chance d’avoir des réseaux assez nombreux et différenciés pour que la population ne vienne pas à manquer d’eau potable. En revanche, sur les zones concernées, surtout si le manque est lié à l’agriculture, celle-ci devra réduire ses volumes d’irrigation, une répartition confiée à un organisme de gestion collective qui délivre des autorisations de prélèvement d’eau.
Ces mécanismes peuvent entrainer des situations curieuses. Par exemple, près du Jura, dans le Doubs, une partie de la rivière du même nom est à sec chaque été obligeant les communes à se ravitailler en eau par camions citernes. Pourtant, non loin de là, la station locale de ski a fait installer une usine à neige qui prélève de l’eau tout l’hiver …
Des restrictions d’eau en France
Dans les régions françaises, comme dans le monde entier, la pluviométrie varie énormément. En France elle se situe entre 0,5 et… 2 mètres/an, en fonction des régions. Or, quand la pluie manque, les sols s’assèchent rapidement avec des conséquences directes sur le remplissage des nappes phréatiques.
Depuis des années, les eaux des cours d’eau dites « eaux de surface » sont plutôt stables, même si de nombreuses régions ont vu des cours d’eau asséchés. En revanche, les niveaux des réserves d’eaux souterraines baissent de manière inquiétante. Processus qui le sera de de plus en plus si ces réserves ne sont pas renouvelées, et qu’elles sont plus prélevées que remplies.
En France, nous avons environ 270 000 kilomètres de cours d’eau permanents et des nappes souterraines estimées à 2000 milliards de m³. Nous sommes donc très bien pourvus. Et pourtant, à ce jour, 36 départements français sont touchés par la sécheresse et se voient obligés d’adopter des restrictions.
- La Vendée, la Vienne, l’Eure-et-Loir et le Loiret et les Bouches-du-Rhône sont en alerte maximale
- L’île de Groix en Bretagne est en « crise sécheresse » : l’arrosage des jardins non potagers et le remplissage des piscines sont interdits.
- Idem pour l’Aquitaine, la Charente, la Charente-Maritime, la Gironde, les Deux-Sèvres, la Dordogne, le Lot et les Pyrénées-Atlantiques qui sont en situation d’alerte renforcée, sans oublier la Sarthe, le Loir-et-Cher, le Rhône, l’Ain, les Alpes maritimes, l’Ardèche et le Var qui sont aussi concernés. Les alertes peuvent concerner des territoires, ou le département entier comme c’est le cas pour l’île et Vilaine.
- 13 départements sont sous alerte renforcée : le secteur agricole voit son utilisation de l’eau réduite à des horaires définis, et les particuliers ne doivent pas arroser leurs jardins, laver leur voiture, ni les toits ou façades des bâtiments.
- A savoir : Le niveau d’alerte non renforcé permet l’arrosage des jardins avant 11 h ou après 18 h et impose aux agriculteurs certaines limites aussi. Ces derniers jours de juin 2022, en Ardèche le niveau d’eau dans les rivières ardéchoises est si faible que le préfet s’inquiète car l’approvisionnement en eau potable pourrait connaitre des ruptures.
Politiques publiques et régulations nécessaires
Devant ce constat il est injuste de faire peser la totalité de la charge sur les particuliers et les agriculteurs.
- L’industrie doit également être contrôlée et soumise à des régulations à la fois dans les volumes d’eau utilisés mais aussi dans le traitement des eaux usées à l’origine de pollution là où parfois on ne l’attend pas. Par exemple, l’industrie du fromage Comté s’est récemment révélée très polluante. En effet, les cours d’eau de la zone de « l’AOP Comté » pâtissent des engrais répandus dans les herbages pour nourrir les vaches qui produisent le lait nécessaire à la fabrication de ce fromage. Or, le sous-sol en Franche-Comté est particulièrement poreux : perméables aux fertilisants issus du fumier qui saturent l’écosystème en azote et phosphore. Ce phénomène déclenche la prolifération d’algues filandreuses qui empêchent les poissons de survivre.
- Les systèmes d’épuration des eaux des exploitations sont souvent insuffisants car ils doivent faire face à une forte augmentation de leur rendement pour répondre à la demande.
- L’eau potable peut aussi manquer en qualité.
- Au-delà des restrictions, on pourrait envisager des limites dans la taille des élevages d’animaux qui boivent de l’eau et la polluent directement avec leurs déjections. De plus, nourrir les bêtes exige d’énormes productions de céréales qui elles-aussi nécessitent de l’irrigation de masse et/ou d’être importées de loin. Si l’élevage peut nuire aux réserves en eau, légiférer sur la (sur)production de viande pourrait être une solution, sachant qu’une partie de la viande produite est jetée quand la date limite de consommation est dépassée.
Le cas de certaines multinationales
Enfin, il faut savoir que certaines marques d’eau de source pompent directement dans les nappes phréatiques d’une région, pour une mise en bouteille et être ensuite vendue. Un procédé qui peut arriver à la privation pour les habitants quand le pompage dans la nappe phréatique est fait de manière disproportionnée par rapport à son renouvellement. Par exemple, le géant de l’agro-alimentaire, Nestlé, a acheté officiellement des terres agricoles il y a 30 ans pour les protéger de la pollution via une filiale et obtenu des accords de pompage. Certains agriculteurs doivent aujourd’hui faire des kilomètres pour se ravitailler en eau alors qu’elle coule sous leurs terres mais « réservée » à la mise en bouteille (750 millions de litres exportés à l’étranger). Même problème avec les producteurs de sodas qui pompent l’eau partout dans le monde. Cette eau, qui n’est plus accessible aux populations locales, leur est vendue dans des sodas parfois moins chers que l’eau. C’est le cas à Mexico où l’eau, qui ne manque pas véritablement, est comme « privatisée » où la population, qui surconsomme alors des sodas, connait une épidémie de diabète et d’obésité.
Solutions pour préserver l’eau
industriel et agro-alimentaire de l’eau. Il est urgent de faire adopter des pratiques industrielles responsables aux entreprises et de réguler leur consommation qui est parfois très élevée dans des secteurs que l’on ne soupçonne pas, comme celui du bâtiment. A Paris, l’entreprise « Eau de Paris » qui gère l’eau potable de la capitale, possède un dispositif extrêmement rare : un second réseau d’eau, parallèle à celui de l’eau potable. Celui-ci achemine une eau non potable, en provenance de la Seine et du Canal de l’Ourq, qui est grossièrement filtrée mais pas traitée car on s’en sert pour l’arrosage des parcs et jardins, le nettoyage des trottoirs, des égouts et pour renflouer les lacs de Vincennes et Boulogne. La réutilisation d’eaux non potables mais sans besoin d’épuration possède ainsi un formidable potentiel pour l’arrosage en particulier.
© Eau de Paris
Il faut aussi dès à présent cesser de faire des calculs économiques sur la base d’une ressource infinie mais de prendre en compte la raréfaction de l’eau pour chaque projet et adopter les bonnes pratiques associées pour que l’effort ne repose pas que sur les particuliers. Ces derniers peuvent à leur échelle mettre en place des systèmes de récupération d’eau de pluie pour le jardin, réduire le remplissage des piscines, installer des systèmes régulateurs de pression, des chasses d’eaux réduites… Enfin, les consommateurs peuvent agir en se détournant des produits des entreprises qui abusent du commerce de l’eau alors que celle-ci devrait être un bien commun.
Si l’eau est souvent utilisée comme le symbole de la vie, et ce n’est pas un hasard. Sans eau, la vie ne peut pas exister. Il est donc vital de modérer notre consommation d’eau, y compris la consommation d’eau indirecte via nos achats, en évitant les produits dont la fabrication est gourmande en eau, mais aussi qui émet beaucoup de CO2 puisque le réchauffement participe à la pénurie d’eau.
Ce qui nous amène aux mêmes conclusions quand on parle d’écologie : boycotter la fast fashion, consommer d’occasion, réduire la viande etc… Par chance, en France nos réserves sont bonnes, c’est donc beaucoup une question de gestion, pour pallier le manque dû aux sécheresses de plus en plus fréquentes.
Ailleurs dans le monde, la pénurie sera telle qu’aucune mesure ne pourra compenser la sécheresse qui impactera les populations et l’agriculture : face aux famines qui en découleront, ces populations n’auront et c’est déjà le cas, plus d’autre choix que de se déplacer.