On a tous une paire de baskets, voire plusieurs ! Sauf que ce basique de nos armoires à chaussures- parfois culte- est souvent loin d’être vertueux. Matières premières, conditions de fabrication, fin de vie, autant de problèmes à résoudre pour que nos baskets soient clean.
En France, plus d’une paire de chaussures achetée sur deux (72 millions) est une paire de baskets, ou de sneakers plus exactement, ces chaussures d’athleisure, qui ne servent plus à faire du sport. Leurs ventes augmentent avec régularité (5 % par an) dans le monde depuis les années 80, quand cette mode a pris son essor avec le lancement de la Nike Air Jordan One, et la signature du partenariat historique entre la star de basket Michael Jordan et Nike. A l’échelle mondiale, les ventes représentaient 82 milliards de dollars en 2019, pour près d’un milliard de paires produites. On prévoit que le marché mondial des sneakers devrait atteindre un taux de croissance annuelle de 7 % entre 2020 et 2024.
Le problème : la grande majorité de ces chaussures est encore produite avec des matières polluantes, dans des pays où la main d’œuvre est généralement sous-payée et dont les conditions de travail sont souvent déplorables. Néanmoins, des progrès sont faits. Éclairage sur ces chaussures culte qui sont à nos pieds.
Un phénomène de société
La basket n’est plus depuis longtemps une chaussure de sport. Symbole du streetwear, c’est le soulier de base des moins de vingt ans qui ne portent plus que ça. Et si l’on veut bien acheter son jean chez Zara ou H&M, hors de question pour certains de ne pas arborer des sneakers signées d’une virgule, de 3 bandes ou d’un félin. Chaque nouvelle chaussure est lancée avec des plans marketing dignes de parfums et d’égéries en « collab » prestigieuses. Avec des pointures du type Kanye West ou Rihanna, la basket est devenue un phénomène sociétal, un marqueur social, un signe d’appartenance générationnel. Et elle touche toutes les générations et catégories sociales. En 2019, elles ont même représenté 90 % des ventes de chaussures chez Balenciaga, 70 % chez Pierre Hardy et Gucci, et 40 % chez Louis Vuitton et Hermès.
Si par snobisme, on achète ses baskets chez Lidl, c’est parce que c’est une édition ultra éphémère pour laquelle on aura fait 3 heures de queue, et qu’on pourra revendre 100 fois son prix d’achat sur le Net ! Une bourse de la basket s’est même créée en 2016, StockX, où les modèles les plus recherchées par les « sneakerheads » se revendent à prix d’or.
Bref, la basket a largement dépassé sa fonction première. C’est un objet de consommation de masse, vendu bien plus cher que son prix de revient. Et c’est bien le problème : la sneaker Grand public n’est pas très responsable.
Pas écolo du tout
La basket symbolise depuis longtemps les travers du capitalisme mondialisé. Conçue dans les pays occidentaux, produite à bas coût en Asie, lancée à grands renforts d’investissements marketing et publicité, elle se vend à des prix élevés, valorisant la marque et son cours en bourse.
Résultat : les sneakers affichent l’une des plus grosses empreintes carbones de tous les vêtements que nous portons.
D’après une étude réalisée par le MIT (Massachusetts Institute of Technology), une paire de baskets type « running shoes » classique génère environ 13,6 kilos d’émissions de CO2. L’essentiel de ces émissions est dû à la fabrication. Entre autres, parce que la plus grande partie d’une basket est composée de plastique, mais aussi de polyester, polyuréthane thermoplastique (TPU), ou d’éthylène-acétate de vinyle (EVA), autant de dérivés du pétrole. Mais aussi parce que toute la chaîne de production reproduit les dérives de la fast fashion (pollution, mauvaises conditions de travail, etc.).
Une prise de conscience
Même conscients de cet impact négatif, nous continuons d’acheter ces produits, car leur niveau de technicité et leur esthétique garantissent confort et stabilité (essentiels pour une chaussure de haute performance) et qu’ils sont toujours à la dernière mode.
Heureusement des changements se profilent à l’horizon. L’étude de la start-up Retviews, parue en 2020, confirme que la défense de l’environnement et la lutte contre le gaspillage sont au cœur des préoccupations du fait de la pandémie, tout particulièrement chez la génération Z, la plus grosse consommatrice de sneakers. 90 % d’entre eux sont prêts à changer leur façon de consommer, si bien que les grandes marques (et les nouvelles) de ce secteur ont déjà amorcé un virage en revoyant leur développement et leur production, avec plus de transparence et d’éthique pour satisfaire ces jeunes consommateurs.
L’offre alternative s’étoffe
Depuis une dizaine d’années, de nouvelles marques se créent à travers le monde, qui revendiquent une fabrication plus vertueuse, plus éthiques et plus green.
Veja, la pionnière
Veja, marque franco-brésilienne propose depuis 2005 des baskets fair-trade et biologiques, avec des matériaux plus chers mais plus durables, fabriquées par des ouvriers mieux rémunérés. Veja a ainsi monté son usine au Brésil selon les principes du commerce équitable, utilisant un maximum de matériaux durables : caoutchouc sauvage, coton bio ou cuir tanné avec des matières végétales. Pour la distribution, à Bonneuil-sur-Marne, Veja confie sa logistique à une entreprise de réinsertion. Confidentielle à son lancement, adoptée par Marion Cotillard au début des années 2010, elle a envahi les réseaux sociaux quand Meghan Markle et Emmanuel Macron les ont arborées. Condor de Veja créé fin 2019 fut “la première basket de running post-pétrole au monde”. Malgré tout, la marque reconnaît sur son site qu’elle connait encore des limites à la fabrication 100 % éthique et biologique de ses chaussures (rivets, teintures…). Après Veja, de nombreuses nouvelles marques ont vu le jour. Pour exemple, en Grande-Bretagne, Vivobarefoot, l’entreprise de footwear minimaliste vise la circularité complète avec son modèle Primus Lite II Bio qui se compose de plus de 30 % de matériaux naturels issus du végétal, comme le maïs, le caoutchouc naturel, et les algues.
150 nouvelles marques en France
En France, 150 nouvelles marques ont investi le marché de la basket ces cinq dernières années, en mettant en avant les thématiques de l’écoresponsabilité, de l’éthique et/ou de l’impact écologique.
Le label 1083, qui s’est déjà distingué par le jean responsable, a créé la basket 903 devenue en 2020 entièrement végan. On peut citer aussi Sessile (éco-conçue, réparable et made in France), Caruus (un modèle en lin recyclé et upcyclé fabriqué en France), Clae (en cuir de cactus).
Wilo lance une basket “zéro plastique”, 100 % végétale et biodégradable, fabriquée en France. Chez Ector, les sneakers sont entièrement tricotées à partir de bouteilles en plastique recyclé, entre Saint-Etienne et Romans. À noter également des initiatives éthiques avec partenariats en vue de développement dans certains pays : Panafrica avec le Maroc, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, ou Perus qui fabrique de façon artisanale au Pérou dans un cadre de commerce équitable.
TBS (groupe Eram) a récemment présenté RE-Source, modèle recyclable à l’infini. Et la célèbre tennis Bensimon vient de sortir sa version éco-conçue, baptisée B-79. Articulée autour de deux modèles, la gamme fabriquée en Espagne arbore des semelles extérieures en caoutchouc naturel recyclé, des semelles intérieures en liège recyclé, alors que les tiges des chaussures sont en coton biologique.
Recyclées, upcyclées, en matières premières durables ou plastiques recyclés, toutes les options sont permises, et quand elles ne sont pas made in France, leur production est faite dans des conditions éthiques.
Les grands équipementiers s’y mettent
Ces marques émergentes, les grandes campagnes des années 1990/2000 et la volonté des acheteurs de consommer plus responsable ont poussé les grandes marques à revoir leurs pratiques. Toutes ont engagé des démarches de fabrication plus écologiques et certaines (Nike, Adidas) sont allées jusqu’à se positionner contre le travail forcé des Ouïghours, au risque d’être boycottées en Chine.
Pour rappel, Nike qui avait embauché Colin Kaepernick en 2018, footballeur américain devenu symbole politique du mouvement Black Lives Matter, pour la campagne des 30 ans de son slogan « Just Do It », déclenchait l’ire des suprémacistes blancs et Trumpistes. Reste que, selon le Collectif Ethique sur l’étiquette – qui est pour le progrès social Contre la violation des droits de l’homme au travail-, le coût de la main d’œuvre ne représenterait que 3$ sur une basket vendue 80$ !
De nouvelles technologies de fabrication
Les marques leader ont désormais à cœur de concilier technologie et écoresponsabilité :
- La technologie Flyknit Nike – qui utilise du polyester recyclé à partir de bouteilles en plastique pour élaborer une maille haute précision – créerait 60 % de déchets de moins que la fabrication traditionnelle et aurait permis d’éviter 1,5 millions de kilos de déchets. Nike a fait de l’économie circulaire une de ses principales préoccupations. Outre les basquets Space Hippie en plastique recyclé pour réduire sa quantité de déchets, la marque à la virgule a décidé de remettre en vente des paires peu portées, et de proposer en rayon des chaussures avec un léger défaut de fabrication. Baptisé Nike Refurbished, ce nouveau service est déjà disponible dans quelques magasins américains et le sera bientôt dans quinze Nike Stores au total. Nike prévoit également la sortie à l’été 2021 d’une ligne Vegan appelée « Better », avec notamment des modèles d’Air Force.
- Le Coq Sportif a, lui, dévoilé deux modèles 100 % végétal, fabriqués à partir des marcs de raisin (résidus non utilisés après extraction des jus pour la production du vin ou de la grappa). Produite au Portugal à partir de matières sourcées en Italie, la semelle intérieure est confectionnée en liège, celle à l’extérieure en caoutchouc et les lacets sont en coton. Deux modèles sont ainsi proposés : la Nérée, à l’allure rétro running, et la Gaïa, rappel des modèles Court de la marque.
- Adidas, la marque aux 3 bandes, avait déjà lancé des processus de production plus écologiques pour ses baskets dès 2015 avec un modèle conçu avec Parley For The Ocean, à partir de déchets plastiques marins recyclés (15 millions de paires vendues en 2020). Le fabricant allemand a lancé début 2021 la Stan Smith Primegreen, qui affiche une composition à 50 % recyclée, faite d’une tige en Primegreen, d’une semelle en caoutchouc recyclé et de lacets en polyester et caoutchouc recyclés. On annonce la naissance de Stan Smith Mylo, à base de cuir de champignon. La marque Adidas a aussi lancé depuis 2019 la Futurecraft.loop, une running haute performance, faite en polyuréthane thermoplastique – plastique considéré comme durable- et sans colle, 100 % recyclée et recyclable, qu’elle espère rendre recyclable à l’infini.
- Reebok, qui appartient au groupe Adidas, a de son côté dévoilé fin 2019 une paire de running végane, confectionnée à base de graines de ricin et de caoutchouc naturel pour la semelle, de mousse d’algues pour la doublure et de bois d’eucalyptus pour le dessus de sa chaussure. Cette enseigne sportive comptait déjà dans ses produits une paire de baskets écologique fabriquée à partir de coton bio et de maïs pour la semelle.
- Quant à Yeezy, le label streetwear piloté par Kanye West, ses sneakers baptisées Clog sont entièrement biodégradables, à base de mousse d’algue.
Des progrès éthiques et écologiques
À la suite des grandes campagnes des années 1990, qui ont révélé les conditions de travail indignes des sous-traitants de Nike en Indonésie notamment, la firme a instauré en 1992 un Code de Travail, revu en 1998 et 2001. Ce code interdit le travail forcé et le travail des enfants, assure aux travailleurs un salaire minimum ou celui courant dans l’industrie et le droit à l’association libre et la négociation collective dans un environnement de travail sûr et sain. Des ONG américaines d’envergure internationale travaillent à la vérification effective, sur le terrain, des conditions de travail dans les usines mises en cause, comme la Fair Labor Association (FLA). Reste que les grands équipementiers produisent massivement en Asie du Sud Est. Et depuis une dizaine d’années, devant l’augmentation du coût de de la main d’œuvre, ils ont largement relocalisé leurs usines de production au Vietnam, Cambodge et Indonésie.
Depuis septembre 2019, Nike a aussi mis en place le programme Move to Zero, visant zéro émission de carbone et zéro gâchis. Pour y parvenir, l’entreprise a l’intention d’équiper tous ses sites d’énergie renouvelable d’ici à 2025 et de baisser ses émissions de gaz à effet de serre de 30%.
Ainsi, certaines enseignes font le choix du commerce équitable, d’autres des matières premières recyclées, d’autres enfin de nouvelles matières premières upcyclées et véganes. Qui privilégier ?
Une marque est-elle éco-responsable quand elle fabrique du recyclé, mais dans des usines aux conditions de travail critiquables ?
La fabrication de baskets est encore loin d’être parfaite, mais là aussi, une dynamique est engagée. Reste un autre point crucial : le magazine Capital diffusé fin mars 2021 sur M6 évoquait 600 millions de paires jetées par an en France. Et 90 % de ces chaussures seraient enfouies ou incinérées. Si la production devient de plus en plus responsable, reste aux consommateurs à faire de même…