Depuis trois ans, la mode et la pollution qu’elle engendre sont pointées du doigt. En effet, la mode est la deuxième industrie la plus polluante au monde.
Selon Greenpeace, plus de 100 milliards de pièces sont produites chaque année, cela donne le tournis ! Les françaises achètent en moyenne 30 kilos de vêtements et accessoires par an. Chaque kilo de linge pollue 200 litres d’eau.
Alors, les marques réagissent et de nouvelles expressions voient le jour : mode éthique, mode écoresponsable, mode durable, mode “propre”, mode transparente, mode respectueuse, mode “upcyclée”, mode consciente, mode “sustainable” et bien sûr clean fashion. Si le mot clean est déjà très utilisé en cosmétique, il n’existe aucune définition officielle. Alors, quelle est la définition de la clean fashion ? Comment s’y retrouver dans toutes ces nouvelles “modes” ? Tour d’horizon.
Une vraie accélération depuis la crise sanitaire de 2020
Sans surprise, les achats de vêtements ont largement baissé en 2020 et des marques renommées ont fait faillite, tant aux USA qu’en Europe (J. Crew, American Apparel, André, Camaïeu, Naf Naf…). Les consommateurs ont eu largement le temps de s’interroger : a-t-on besoin d’autant de vêtements dans nos placards ? est-ce raisonnable d’acheter toujours plus et parfois à bas prix des vêtements qui dureront une ou deux saisons ? De soutenir une industrie polluante et qui détruit énormément de ses invendus ?
En Suède, le mouvement « köpskam », honte de faire du shopping, prend de l’ampleur depuis 2018 et vise spécifiquement le fait d’acheter un vêtement. A l’instar du « flygksam », honte de prendre l’avion, mouvement qui avait fait beaucoup parler de lui mondialement. Mais ce sont les circuits de l’industrie de la mode et son processus qu’il faut repenser.
Plusieurs créateurs de mode ont d’eux-mêmes rédigés des manifestes et chartes pour une mode respectueuse de l’environnement et font déjà des collections en ce sens (Marine Serre et Dries Van Noten notamment). En mai 2020, 600 créateurs et acheteurs ont demandé via une lettre ouverte que la mode initie de profonds changements.
Les premières interrogations et prises de conscience concernaient l’usage de la fourrure, dans les années 80. Depuis cinq ans, tout s’est accéléré via les réseaux sociaux avec la montée de la philosophie « vegan ». Dire que Stella McCartney avait initié ce mouvement au début des années 2000 !
Sous la pression des consommateurs et des défenseurs des animaux, bon nombre de grandes marques ont cessé d’utiliser de la fourrure dans leurs collections (Burberry, Versace, Gucci, Armani, Givenchy, Ralph Lauren, Calvin Klein mais aussi le distributeur de luxe Net-a-porter.com., etc.). Cependant les matières synthétiques utilisées pour réaliser ces fausses fourrures sont aussi problématiques, car très polluantes. Les recherches s’amplifient pour trouver une fourrure écolo satisfaisante. Frédéric Godart, sociologue de mode et professeur à HEC affirme « D’ici une vingtaine d’années, il n’y aura plus de produits d’origine animale dans la mode ». Adieu cuir, soie, laine…
De la Fast Fashion à la Clean Fashion
Nous nous souvenons tous de ces terribles images d’un immeuble abritant une usine de textile s’écroulant au Bangladesh en 2013, faisant plus d’un millier de morts. Toute une partie de l’économie de ce pays est basée sur la fast fashion, mode rapide, qui est une autre problématique. Comment ralentir et arrêter les rendez-vous incessants des « Fashion weeks » à l’origine d’une surproduction massive ? Pendant le premier confinement, de nombreuses marques ont transformé la contrainte en opportunité pour imaginer des évènements digitaux, dont certains étaient particulièrement créatifs
Anti Fashion, une initiative vertueuse pour la Clean Fashion
La grande prêtresse des tendances Li Edelkoort a publié son manifeste Anti Fashion dès 2015. A l’origine pour dénoncer l’absurdité et l’obsolescence du système de la mode, sur tout l’ensemble de sa chaîne. Ce fut un véritable détonateur pour Stéphanie Calvino, qui a alors lancé les Rencontres Anti Fashion à Marseille en 2016. Alertée par le fait que « personne n’apprend aux jeunes créateurs à produire autrement ni au public à consommer différemment », ces journées ont un succès qui s’amplifie chaque année. Et d’autres acteurs indépendants montent des formations, comme les Moocs d’Annick Jehanne, Présidente de FashionGreenHub.org, une association de chefs d’entreprises Mode et Textile fondée en 2015, dont les derniers Fashion Green Days ont eu lieu en janvier 2021.
Upcycling, une option de la Clean Fashion ?
L’upcycling, ou faire du neuf avec du vieux, fait effectivement partie de la clean fashion dans le sens où elle offre des réponses en termes de mode durable et d’économie circulaire. Cela permet d’avoir un bonus ‘vert’ pour les marques ! Le géant H&M l’a bien compris et a lancé dès 2012 sa collection « Conscious Exclusive », qui utilise par exemple des déchets végétaux pour remplacer les fibres synthétiques, à l’instar du ‘cuir’ de raisin Vegea fabriqué à base de peaux, pépins et tiges de raisins post-vendanges. Et c’est encore mieux lorsqu’ils sont associés à des méthodes de teintures propres –une information rarement transmise au consommateur-. Un coton peut être biologique et extrêmement polluant, à cause de sa consommation d’eau et du processus de teintures chimiques ! D’ailleurs, mieux vaut utiliser du lin, biodégradable, qui ne consomme que très peu d’eau et dans lequel « tout dans la plante est utile et utilisé » selon l’enseigne Uniqlo, qui de surcroit n’utilise pas de chimie aux différents stades de transformation de son lin premium.
En tout cas l’upcycling stimule l’innovation et la création. La jeune créatrice Marine Serre (lauréate du prix LVMH 2017) en est une des meilleures représentantes de ce procédé et sa valorisation des anciens vêtements est étonnante. A retenir aussi le travail du label Andrea Crews depuis 2002 et de la marque Les Récupérables, fondée en 2016, qui récupère des tissus non conformes et des chutes de tissus d’ateliers. Une super idée à l’instar de toutes les initiatives alimentaires anti-gaspillages (les légumes moches, Too good to go, etc.).
Mode écoresponsable, une réponse de la Clean Fashion ?
Fin 2019, l’Institut Français de la Mode estimait que la mode durable représentait déjà 7 milliards d’euros de chiffres d’affaires. Aussi les grands distributeurs et fabricants ont tout intérêt à prendre en compte cette tendance forte ainsi que la sensibilité des consommateurs face à l’impact de la consommation. Une nouvelle attitude qui s’inscrit dans la Clean Fashion.
- Carrefour s’est engagé à ce que ses collections textiles vendues sous sa marque Tex contiennent 100% de matériaux durables et traçables d’ici 2030. Ce qui réduira l’impact environnemental de leur ‘supply-chain’ et de leurs emballages. Un travail sur l’ensemble de la chaîne de valeur à saluer, même si 2030 semble une éternité, à la vue de l’accélération de la dégradation de la biodiversité et du climat.
- Zalando a inclus une offre de mode sustainable (durable), baptisée « Small steps, big impact. » Et incroyable, d’ici 2023, ce leader européen ne distribuera que des marques aux normes écoresponsables ! Reste à voir la définition de ces normes.
- Zara a annoncé « revoir ses standards de qualité et former les créateurs à la circularité. » Encore faudrait-il que ces géants produisent moins, ce qui n’est pas assuré !
- Kiabi a l’ambition d’être 100% durable d’ici 2030.
- Reformation, une des références historiques, née à San Francisco en 2009 est la marque écolo-cool des peoples, portant un super humour via son slogan : « Être nu est la #1 option la plus durable » ! Quantités de matériaux sont bannis, comme le nylon, le polyester, le formaldéhyde (ça alors, il y a même du formaldéhyde dans les vêtements !! Pas étonnant qu’il soit conseillé de laver au minimum deux fois les vêtements achetés neufs…).
- En France, nous avons des marques écoresponsables : Sézane, Atelier Bartavelle, Atelier Tuffery, 1083, les sneakers Ektor, le e-shop wedressfair…
La mode en précommande, une solution de la Clean Fashion ?
C’est une excellente option qui permettrait directement de produire moins et en quantités justes ! Un rêve pour les entrepreneurs qui minorent ainsi leur trésorerie immobilisée et qui, en plus, peuvent demander des avances lors des précommandes. Un modèle vertueux bien utilisé par les DNVB (Digital Native Vertical Brands), de jeunes entreprises nées avec le digital, dans tous les secteurs. La marque Mode Operandi a initié ce procédé en prêt-à-porter haut de gamme en 2010, d’autres ont suivi comme la britannique Pangaia, les français l’Atelier Loden, Maison Cléo et Asphalte.
L’achat en la seconde main, en mode Clean Fashion ?
Les experts disent qu’avant 2030, les ventes de mode en deuxième main dépasseront les achats neufs ! Pour Virgil Abloh, directeur artistique pour homme chez Louis Vuitton et fondateur de la marque Off-White : « La mode, ça va être cesser d’acheter du neuf, ce sera comme aller dans les archives ». La plate-forme Vinted est un vrai succès, surtout en France où elle a été lancée en 2013 (qui connait un ado qui n’a jamais vendu ou acheté sur Vinted ?!) que les grands retailers ont embrayé. Ainsi Zalando offre depuis peu une offre mode « pre-owned » et l’acheteur reçoit un avoir de la valeur de la transaction. Les marques comme Etam, Petit Bateau, H&M se sont mises à la vente d’occasion. Un revirement pour certaines de ces enseignes fondées sur une mode jetable et à bas prix. Et une opportunité commerciale afin de ne pas laisser tout ce marché leur échapper puisque les vendeurs touchent des bons d’achat qu’ils ne peuvent pas aller dépenser ailleurs.
Louer ses vêtements, une alternative à la Clean Fashion
Mais bien sûr, louer sa garde-robe, quelle bonne idée ! Quantité de jeunes entreprises ont fleuri en proposant ce service de location (Everyday Runway, Le Closet, Little Clotherie…). Ce qui est tout à fait cohérent avec nos nouvelles habitudes, puisque depuis 2008 posséder perd de son statut au profit de celui de louer. En mode, cela permet de pouvoir s’offrir le port de belles pièces griffées, sans la dépense importante qui va avec. Ou tout simplement d’avoir le plaisir de renouveler souvent ses basiques. Le seul hic est que cela prive de l’attachement à une pièce dans laquelle on aime se lover et qui nous fait nous sentir bien, que l’on garde souvent très longtemps, voire que l’on transmet ! Et le système de location a aussi l’inconvénient d’être polluant entre le transport et les nombreux nettoyages occasionnés.
Garantir la transparence, le graal de la Clean Fashion ?
Oui, à condition que les matières premières soient naturelles et “green” ! Carrefour a la volonté de les rendre toutes traçables pour ses produits Tex d’ici 2030. La crise sanitaire a été un vrai catalyseur, y compris chez les jeunes générations, pourtant friandes de mode jetable : pour H&M, « Les Digital Natives, ces jeunes consommateurs nés avec le digital, comprennent mieux que quiconque ces problématiques, dans la mesure où ils sont nés avec un accès illimité à l’information ». La transparence devient un critère prioritaire pour les clients et un avantage par rapport à la concurrence : « Ils exigent désormais de savoir comment sont conçus les vêtements et si la chaîne de production est bonne pour la société. Cette génération Z veut aussi savoir si notre impact est positif sur la société ». Maison Standards, lancé en 2013, décrit sur son site chaque étape de production de ses vêtements. Les jeans achetés peuvent être rapportés en boutiques afin d’être recyclés. Everlane, née aux Etats-Unis il y a 15 ans, a fait de la transparence sa devise tout en impulsant ce mouvement des marques nées avec le digital.
Attention au greenwashing
De nombreuses solutions existent pour acheter une mode plus éthique et plus clean, sans sacrifier le look ! La mode écologique et écoresponsable doit être au même niveau de qualité, de confort, d’esthétisme et de design que la mode traditionnelle.
Il s’agit d’être attentif aux revendications des marques, au global de la chaîne et de l’empreinte carbone. Et attention au greenwashing dénoncé par Isabelle Marant « En ce moment, on produit des doudounes en bouteilles recyclées : c’est super de réutiliser des fibres de pétrole. Mais au fond, on est en train de se faire de l’argent sur le dos de l’écologie. Ce n’est pas si vertueux ».
La Clean Fashion ouvre le champ à quantité de questions : quel est le bon volume pour ne pas abîmer la planète, les gens, les ressources ? La question de la production est cruciale. En effet, si les géants mondialisés de la mode produisent moins chaque année, l’économie circulaire ne pourra pas compenser. Alors cette industrie va devoir revoir son modèle en vendant moins, mais des produits de meilleure qualité qui dureront plus longtemps et donc plus chers. Et là, c’est le consommateur qui peut à tout moment décider d’arrêter d’acheter une marque dont les valeurs ne lui conviennent pas ou encore de diminuer ses achats pour suivre une mode plus écoresponsable dans un monde plus clean, lui aussi.