Si un grand ménage a largement commencé dans le soin, le maquillage fait son entrée dans le clean par le biais du vegan et du bio. Quant aux grandes marques classiques, elles rencontrent plus de difficultés à se mettre au maquillage clean.
Depuis quelques années, on voit clairement une tendance “beauté clean” s’engager pour le soin. Côté maquillage, le mouvement connaît plus d’obstacles. Et pour cause. Les résultats, les couleurs et la sensorialité sont beaucoup plus difficiles à atteindre avec des formules clean. Quant au pack, il fait souvent partie du plaisir même que procure l’objet de maquillage. Bref, l’histoire du maquillage clean n’en est qu’à ses débuts.
Des formules plus naturelles ? Pas évident
Toutes les marques sont entrées dans une phase de « nettoyage » de leurs formules à des degrés différents. Les Indies (nouvelles pousses) qui se lancent se positionnent à minima végan (ce qui ne signifie pas du tout que les formules soient clean) et font de gros efforts grâce aux ingrédients d’origine naturelle (mais un naturel transformé par la … biochimie). Les acteurs du bio revoient leurs produits pour aller vers plus de naturalité et de sensorialité, tout en poussant le curseur du côté du sourcing des ingrédients. Quant aux marques de luxe, nous verrons plus loin pourquoi elles y vont encore à petits pas.
Le vernis : pionnier et biosourcé
Étrangement, le plus chimique des produits de maquillage fut l’un des premiers sur lequel certaines marques se sont penchées, au moment même où le vernis était en plein boom sur le marché européen. Il y a plus de dix ans, apparaissaient d’abord les vernis 4, 5 ou même « 10-free » (dans lesquels on avait supprimé 4 à 10 composants considérés comme suspects) puis les vernis dits « biosourcés ».
Il faut d’abord rappeler les composants d’un vernis. Pour qu’il réponde à tout ce qu’on lui demande – bonne adhérence à l’ongle, jolie couvrance, brillance, longue tenue – le vernis contient des agents filmogènes, des résines, des plastifiants, des solvants et des pigments. Or, bon nombre des composants utilisés il y a encore quelques années posaient problème : le toluène, polluant et irritant ; les phtalates, dont le dibutyl phtalate (DBP), suspecté d’être un perturbateur endocrinien ; le formaldéhyde, classé cancérogène au niveau européen ; le colophane, une résine qui peut provoquer des réactions allergiques et symptômes asthmatiques.
Les marques spécialisées (OPI, Essie), bientôt suivies par toutes les autres, ont retiré les ingrédients les plus controversés, voire dangereux pour la santé : formaldéhyde, toluène et dibutylphtalate.
Puis, certaines marques, Kure Bazaar en tête, sont allées plus loin en remplaçant la pétrochimie par des ingrédients d’origine naturelle : bois, manioc, maïs, pomme de terre, coton. On en a alors déduit – abusivement – que ces vernis étaient clean, voire bio. Ils sont en fait « biosourcés » ou d’origine naturelle. Car, certes, les ingrédients sont naturels à la base, mais ils subissent des procédés de transformation, si bien qu’au final leur formule INCI est quasi identique à celle des vernis non biosourcés. Quant aux vernis bio, ce n’est pas encore la panacée. A base d’eau et sans solvant, ils n’offrent ni la même brillance, ni un grand choix de teintes.
Le remplacement des silicones et polymères, une affaire délicate
La grande révolution du maquillage moderne, depuis les années 1950, a été la naissance de la chimie organique qui a permis de larges avancées dans la composition des rouges à lèvres, mascaras et fards à paupières. Les matières premières d’origine pétrochimique ont peu à peu transformé la tenue, la sensorialité, le glissant et l’accroche des produits de maquillage : cires microcristallines, silicones (dimethicone en liste INCI) et silicones volatiles (cyclo-pentasiloxane et autres), polymères, huiles synthétiques. Elles ont permis l’élaboration de produits longue tenue, sans transfert, où le pigment accroche et fusionne avec la peau sans effet matière, sans effet desséchant, des rouges crémeux des années 80 aux laques et encres à lèvres de ces dernières années. Si bien qu’aujourd’hui, se passer de tous ces composants est une vraie gageure.
- Dans les mascaras et rouges à lèvres, on revient aux cires, végétales principalement (candelilla, carnauba, riz, et ricin pour les mascaras) pour éviter au maximum la cire d’abeille, auxquelles on ajoute des dérivés d’huiles végétales, des polymères à base d’amidon de maïs, de pomme de terre ou de tapioca pour un bon enrobage des cils et une accroche onctueuse sur les lèvres.
- Dans les rouges à lèvres, le beurre de karité permet la tenue du raisin (le stick) et des huiles (argan, coco, abricot) et fractions d’huiles remplacent les silicones. Le souci : les cires végétales coûtent quatre fois plus cher que les ingrédients pétrochimiques !
- Pour ce qui est du teint, on va encore trouver des polymères mais en très faible quantité, aux côtés de silices travaillées, de dérivés d’argile, de poudres et parfois de nacres. Mais surtout, les formulateurs jouent sur les formes d’émulsion – eau dans huile, micro-dispersion de gouttelettes- et l’enrobage des pigments pour obtenir un film uniforme qui ne migre pas.
- Dans le bio, la palette de couleurs est encore restreinte car exit les polymères, même d’origine naturelle. Les cires et fractions d’huiles sont autorisées, mais il faut jouer avec des amidons et des poudres dans les fonds de teint, des réseaux de sucres et des fibres dans les mascaras, des micas dans les fards.
Les pigments, le grand défi
Il existe deux sortes de pigments : les minéraux (à bas d’oxyde de fer, dioxyde de titane et manganèse) et les chimiques (une quinzaine autorisée) que l’on mixe pour obtenir une palette de teintes. Au cours des dernières décennies, le savoir-faire d’autres industries, comme l’imprimerie, la miroiterie, la peinture automobile ou même aéronautique a été importé vers le maquillage pour obtenir des effets sophistiqués. Car ces industries sont non seulement à la pointe de la recherche sur les pigments, mais aussi sur la réflexion de la lumière. Ainsi sont nées toutes les nacres interférentielles, tirées du mica ou de la silice, qui permettent des effets irisés, pailletés, « ailes de papillon ». Voilà pourquoi la plupart des marques « naturelles » conservent des pigments synthétiques.
- En bio, seuls les pigments minéraux sont autorisés, ce qui réduit déjà la palette colorielle. De plus, ces pigments minéraux ne sont pas des ressources indéfiniment renouvelables.
- Les marques qui ont fait le choix du végan ont dû bannir la fameuse couleur rouge, obtenue à partir d’un insecte broyé, la cochenille.
- Aujourd’hui, certaines veulent aller encore plus loin. Ainsi, la marque Le Rouge Français, certifiée bio, végan et clean beauty, a éliminé tous les pigments chimiques et minéraux. Elle a développé ses propres pigments brevetés, obtenus par pression, fermentation ou extraction biotechnologique à base de plantes tinctoriales (garance, hibiscus, lotus, indigo, roucou, sorgho, cosmos, curcuma, betterave…). Reste que la palette est plus restreinte et les teintes essentiellement « nature ».
Maquillage clean : moins de résultats, plus de soin
Les rouges à lèvres tiennent moins longtemps et demandent à être « chauffés » avant de les appliquer ou au contraire ressemblent à des baumes. Les mascaras offrent un résultat assez naturel, loin des effets démultiplicateurs et vertigineux de ceux des marques stars. Les fonds de teint n’ont pas l’évanescence, ni l’effet « blur » (correcteur) de certaines BB crèmes ou fonds de teint chargés en huiles et silicones volatiles. Le sans-transfert et le waterproof sont pour l’instant impossibles à obtenir. Seule une nouvelle marque -Last – vient de breveter un polymère longue tenue d’origine naturelle.
Mais le revers de la médaille offre d’autres avantages. Outre l’argument « clean », l’utilisation des huiles et beurres végétaux présente des effets nourrissants, fortifiants, hydratants, mais aussi anti-oxydants. L’huile de ricin des mascaras fortifie les cils et favorise leur pousse. Enfin, avec un maquillage clean, on n’avale pas des ingrédients pétrochimiques en appliquant son rouge à lèvres !
Des pack éco-conçus ? en bonne voie
Les formules ne sont pas les seules à avoir connu un lifting. Côté pack aussi, on voit aussi des avancées.
Le rechargeable, le premier pas
Difficile en maquillage de se passer du plastique. Certes, la plupart des fonds de teint sont dans des flacons de verre, mais c’est plus difficile pour un mascara (La Bouche Rouge s’y est cependant essayé) et presque impossible pour un rouge à lèvres. Ce qui explique pourquoi les propositions de rouges à lèvres rechargeables se multiplient. Il est vrai que, plus que tout autre produit de maquillage, le rouge à lèvres est un objet symbolique et statutaire. On le glisse dans son sac, on l’emporte avec soi, on le sort pour en remettre plusieurs fois dans la journée (hors période pandémique), on a plaisir à le montrer. Et on se dit que c’est du gâchis de le jeter quand on l’a terminé. Alors les marques – de luxe notamment – proposent des repacks de leurs produits iconiques (Rouge Dior, Rouge G Guerlain) ou lancent de nouveaux objets rechargeables, comme chez Hermès ou la Bouche Rouge (avec étui personnalisable en cuir). Même stratégie chez Lush, Kure Bazaar, Le Rouge Français, Veganie, Zao où certaines palettes d’ombres à paupières, de fonds de teint compact ou de poudres, elles aussi rechargeables.
Des packs et brosses de mascara en bioplastique
La grande nouveauté depuis un an : les brosses de mascara biosourcées, réalisées à partir d’huile de ricin. En effet, l’huile de ricin présente plusieurs avantages. Outre ses propriétés nourrissante et fortifiante pour les cils, elle est non comestible, et de ce fait, n’est pas en compétition avec la chaine alimentaire humaine et animale. En effet, l’huile de ricin est sans OGM, peu exigeante en eau pour sa culture, avec un excellent rendement. La plante, extrêmement résistante, pousse dans des régions où il y a peu de précipitations, comme le Gujarat en Inde qui assure plus de 80% de la production mondiale. C’est une super alternative aux poils en nylon ou brosses en polymères. Plusieurs marques, bio ou non, s’y sont déjà converties. Et Le Rouge Français a même réalisé ses étuis de rouges à lèvres dans cette matière biosourcée, résistante et recyclable.
Le carton, un emballage primaire et secondaire
Le carton gagne du terrain au détriment du plastique, notamment chez les marques bio. Qu’il s’agisse de Couleur Caramel, de Zao ou de Bo.ho, elles ont toutes opté depuis longtemps pour des écrins en carton issus de forêts FSC (éco-gérées) pour toutes leurs références maquillage. D’autres acteurs profitent d’un nouveau lancement (comme SoBio Etic) pour se convertir au carton.
Pour les emballages secondaires aussi, le carton s’impose. Il remplace peu à peu les blisters en plastique, et les sleeves (enveloppe en plastique scellée).
De grandes difficultés persistent
Parvenir à créer un maquillage parfaitement clean tout en apportant les mêmes avantages qu’un maquillage classique est un véritable casse-tête aujourd’hui.
Sensorialité et performance, un changement d’exigences
Les grandes signatures du maquillage, qu’il s’agisse de marques de luxe ou d’acteurs reconnus en grandes et moyennes surface, ont plus de difficultés à se tourner vers le Clean. Si elles affichent haut et fort leurs engagements RSE en matière de sourcing et de recyclabilité (efforts sur le packaging) ce sont les formules qui posent le plus de problèmes. Certes, Guerlain a conduit sa Terracotta à afficher 96% d’ingrédients d’origine naturelle et a lancé un fond de teint affichant un taux de naturalité particulièrement élevé. Même stratégie chez Dior avec le baume Rouge Dior et chez L’Oréal Paris qui lance son premier mascara à 99% d’origine naturelle, mais toutes ces initiatives sont une goutte d’eau dans le nombre de références en maquillage. Pourquoi ? Lorsqu’on a habitué ses consommatrices à des textures ultra sensorielles, des finis imperceptibles mais ultra résistants, des packs ultra sophistiqués et luxueux, le pas est difficile à franchir.
Un rayon à forte logistique : un frein au Clean
Tous les distributeurs le savent : le rayon maquillage est l’un des plus compliqués à gérer. Il y a pléthore de références, démultipliées par le nombre élevé de teintes, dont certaines ont une rotation de ventes bien plus fortes que d’autres. Il faut des testeurs, et vérifier sans cesse qu’ils restent propres. Les meubles de vente sont imposants et que dire des hypermarchés où les produits sont présentés sous blisters plastiques pour les voir en transparence, tout en restant inviolables ? Cette énorme logistique explique aussi la difficulté à transformer les packagings, tout en respectant le cahier des charges des distributeurs, et pourquoi ce sont des marques confidentielles, vendues sur internet ou ayant leurs propres points de vente, qui parviennent à faire avancer le marché du maquillage Clean.
Le maquillage en est finalement au même point que le soin il y a quelques années : au tout début du Clean. Mais, grâce aux demandes des consommatrices et à la création de matières premières plus performantes, nul doute que le paysage du make-up Clean va véritablement changer dans les prochaines années. Une affaire à suivre de près.