On a tous un jeans – voire plusieurs – dans notre placard. Mais derrière ce vêtement identitaire et désirable, se cache un objet à fort impact environnemental et humain. Décryptage.
Chaque année, 5 milliards de jeans sont produits et 2,3 milliards d’exemplaires vendus, dont 63 millions en France ! C’est dire à quel point ce pantalon bleu et robuste est devenu universel, porté par tous, de 3 à 90 ans, de l’ouvrier au Cadre sup, des États-Unis au Cambodge.
D’où vient-il exactement ? Comment et par qui est-il produit ?
Du Far West aux punks, des champs de coton aux usines chinoises, des marques spécialisées aux chaînes de fast fashion, petite épopée du jean et analyse des pistes pour lui offrir un avenir plus en accord avec la Clean Fashion, meilleur pour les hommes et la planète.
L’histoire du jean façonne le XXe siècle
À l’origine, jean ou denim ?
Les historiens de la mode ne parviennent pas à localiser précisément l’origine du jean, que l’on confond désormais avec le denim. On sait qu’au Moyen ge, le coton est mélangé à du lin ou à de la laine dans des étoffes appelées futaines. L’Italie du Nord produisait de grandes quantités de cette toile, exportées dans toute l’Europe et notamment en France, où elle est utilisée dans les pantalons de marins, mais aussi les voiles des navires.
À Nîmes, les tisserands tentent de reproduire ce tissu, sans succès. Ils développent au XVIIe siècle un autre tissu, un sergé de laine et de soie connu sous le nom de denim (de Nîmes). Cette toile beige, réputée pour sa résistance, utilisée comme vêtement de travail par les bergers et paysans cévenols, est par la suite exportée à Gênes et teintée en bleu indigo (le bleu de Gênes) pour en faire un vêtement bon marché, résistant, moins salissant que le beige clair. Ces tissus exportés vers l’Angleterre se retrouvent sous la dénomination jean ou jeane dans les registres du port de Londres. Bref, de la toile de Nîmes teintée au bleu de Gênes, est née le denim et le blue-jean.
Quant au vêtement, il apparaît avec l’essor de la culture du coton dans le sud des États-Unis au XIXe et la Ruée vers l’or. Un tailleur juif, bavarois, un certain Lévi Strauss, crée dans les années 1850 pour les chercheurs d’or et les bûcherons, un pantalon de travail taillé dans ses toiles de tente en coton et renforcé par des rivets en cuivre au niveau des points sensibles (poches, braguettes). Le brevet est déposé en 1873.
Des plaines du Far-West à Hollywood
Apanage des cow-boys dans la publicité de Lévi-Strauss, ce pantalon bon marché et résistant devient avec la Grande Dépression des années 1930 le vêtement de base des fermiers et des ouvriers. Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis inondent le marché européen avec les surplus de la guerre, dont des jeans. Et lorsqu’Hollywood s’en empare, que Gary Cooper, Marlon Brando ou James Dean en font leur emblème, le phénomène prend une toute autre dimension. Les jeunes générations s’en emparent et en font un signe de contestation et revendication.
De la contre-culture à la fabrication de masse
Dans les années 50-60, il est l’attribut des motards et des déhanchés provocateurs d’Elvis Presley et du rock’n’roll naissant. Quand Marilyn Monroe l’arbore dans « Le démon s’éveille la nuit », elle en fait un symbole de la lutte pour l’émancipation féminine. Dans les années 60-70, il se pare de broderies et pattes d’eph pour participer au mouvement hippie. Et dans les années 80, il adopte un look punk.
Mais avec l’arrivée dans les années 90 du Lycra®, des jeans moulants, « stone-washed », « déchirés », colorés, le jean est victime de son succès. Les chaînes de fast fashion s’en emparent. Il devient un véritable produit de mode et de consommation, et même de surconsommation. Il est alors le symbole de l’outrance de l’industrie de la mode.
Le cycle de vie du jean, catastrophe environnementale et humaine
Un grand voyageur
Le cycle de production d’un jean comporte de nombreuses d’étapes : la culture des fibres de coton, le traitement et le filage, la teinture, le tissage, la coupe et la confection, le délavage et les finitions. Puis il est packagé, expédié, stocké et enfin mis en vente. Or, chacune de ces étapes correspond à un savoir-faire et une zone géographique différente.
Le coton est cultivé en Inde, Australie ou Afrique, la filature se fait au Pakistan, la teinture en Chine, la confection et le délavage se déroulent essentiellement en Turquie, tandis que fils et finitions sont réalisés en Occident ou au Japon.
Cette production ultra-mondialisée et les trajets d’un continent à l’autre sont responsables d’une énorme empreinte carbone : on estime qu’un vêtement en denim peut parcourir jusqu’à 65 000 km – soit 1,5 fois la circonférence de la Terre – avant d’atterrir dans nos armoires. On évalue ses émissions de CO2 à 20 kg en moyenne et jusqu’à 40 kg. Ce lourd bilan inclut également les émissions de CO2 nécessaires à la culture du coton, l’usage de machines agricoles, le travail de filature, de tissage et d’assemblage en usine.
Un gros pollueur
Toutes ces étapes sont également énergivores et/ou polluantes.
- Glouton en eau
La production d’un jean consommerait entre 7 000 et 10 000 litres d’eau selon l’ADEME, 3 781 litres d’après le Programme des Nations unies pour l’environnement (UNEP). Première étape, et non des moindres, la production de la matière première, le coton. Les champs de coton ne couvrent que 3% des terres cultivées, mais il s’agit de la 3ème activité agricole la plus gourmande en système d’irrigation après le riz et le soja. La teinture des jeans et leur délavage sont aussi gros consommateurs d’eau.
- Bourré de produits toxiques
Pour garantir un rendement important, sa culture nécessite un usage intensif d’engrais et de pesticides. Le coton est majoritairement planté dans des régions où les réglementations sur les pesticides sont particulièrement souples. L’Inde permet notamment l’utilisation de diethion, insecticide hautement toxique, dangereux pour le cerveau, le cœur et les poumons et soupçonné d’être cancérigène. Afin d’en limiter l’utilisation, 82% du coton cultivé est aujourd’hui génétiquement modifié. Toutefois, la demande est telle que même le coton OGM ne peut se passer entièrement de ces produits.
La teinte bleue du denim, quand elle est encore obtenue grâce à l’indigo, nécessite d’immenses quantités d’eau, et pollue les eaux usées. Mais elle est souvent réalisée à partir de produits de synthèse contenant, notamment, du chlore et des métaux lourds. En Asie du Sud-est, ces produits se retrouvent rejetés sans traitement préalable dans la nature où ils infiltrent les sols et les nappes phréatiques.
- Une utilisation tout aussi polluante
Une étude réalisée par Levis sur le cycle de vie d’un 501 a montré un fait étonnant : l’impact environnemental de l’utilisation d’un jean est presque aussi important que sa production. En effet, selon cette étude, son impact se découpe ainsi :
- Culture de la fibre : 9%
- Production du tissu : 27%
- Coupe et confection : 8%
- Délavage : 5%
- Transport et revente : 11%
- Entretien par le consommateur : 37%
- Fin de vie : 3%
L’étonnant chiffre de 37% qui évalue l’entretien par le consommateur – qui atteindrait 48% selon l’ADEME- varie selon la fréquence de lavage et le type de détergent utilisé (les Français et les Américains lavent leur jean après l’avoir porté 2,5 fois alors que les Chinois le portent 4 fois), mais aussi si on le sèche en machine et si on le repasse. Aux États-Unis et au Japon, nombre de consommateurs mettent même leur jean au pressing !
Ce que ne dit pas cette étude, mais que les experts révèlent : si le jean pollue lors de son utilisation, c’est à cause des nombreux produits chimiques utilisés lors de sa production – souvent non autorisés en Europe – et qui sont relargués quand on le lave ! Sa fin de vie est également problématique, car les produits finis composites (présence de Lycra® ou élasthanne, de rivets…) compliquent sa décomposition, et donc le réassemblage.
Un coût humain
Tous les employés travaillant le jean sont touchés.
Dans les champs de coton, les agriculteurs respirent des produits toxiques avec des cas de maladies respiratoires et de cancers élevés. De même pour les ouvriers dans les usines de teinture de Chine.
Mais un autre procédé est tout aussi dévastateur. Le sablage, méthode industrielle employée pour vieillir le jean (le rendre moins rigide) et le délaver, propulse du sable ou de la poudre de silice, à très haute vitesse sur la toile de denim. Cette technique expose les travailleurs à de fines particules très volatiles qui se logent dans les poumons et causent des irritations des voies respiratoires, silicoses et cancers. Heureusement, elle est désormais interdite dans la majorité des pays occidentaux. La Turquie, ancien grand bastion du sablage, y a mis fin en 2009. L’année suivante, sous la pression de la campagne “Il est mortel ce jean”, plus de 40 grandes marques de jeans ont suivi l’exemple et banni le sablage. Aujourd’hui, cette méthode est pourtant toujours en vigueur- notamment en Chine -, complétée par d’autres techniques toutes aussi nocives comme le ponçage manuel ou les traitements chimiques avec le permanganate de potassium.
De plus, comme pour les autres vêtements, le jean est principalement produit dans des pays où les droits des travailleurs ne sont pas aussi contrôlés et protégés qu’en Europe. Mauvaises conditions d’hygiène et de sécurité, salaire à la pièce, aucune protection sociale ou pour la santé, et parfois travail forcé ou des enfants…
Vers un jean plus clean
L’industrie du denim est l’une des premières à avoir été montrée du doigt, c’est donc l’une des premières à avoir initié sa transition socio-environnementale. Des initiatives ont été prises à tous les stades. Et si en 2020, moins de 5% des jeans étaient éco-conçus, des pistes s’amorcent.
Des matières premières plus durables
L’utilisation de coton biologique réduit de 25% l’acidification des sols et l’eutrophisation marine, de 60% l’occupation des territoires agricoles et la consommation d’eau. Mais il ne représente aujourd’hui que 1% du coton produit.
De grands jeaners, comme Levis ou Lee, travaillent sur des alternatives au coton, comme le lin, le chanvre cotonnisé ou le Tencel™, matières rustiques et durables, moins consommatrice d’eau, de produits chimiques et plus respectueuses de l’environnement. Une jeune marque française (1083 soit la distance entre les deux points les plus éloignés de France.), qui produit des jeans quasi à 100% Made in France, a même créé l’Infini, en polyester recyclé (à partir de bouteilles plastiques et de déchets marins), consigné et recyclable à l’infini.
Sur les étiquettes, le consommateur peut chercher les labels GOTS (Global Organic Textile Standards) assurant un coton biologique traçable et répondant à des critères sociaux et environnementaux, ou BlueSign, C2C Certified™ assurant que le textile ou le vêtement fini est dépourvu de ZDHC (Zero Discharge Hazardous Chemicals / Produits chimiques dangereux) et peut donc s’intégrer dans une chaine circulaire.
Des teintures moins polluantes
L’indigo traditionnel est la manière la moins polluante pour teindre un jean. L’emploi de fibres recyclées triées selon leurs coloris permet de limiter également l’impact de cette étape, bien qu’elles soient systématiquement re-colorées. Lee a abordé le problème de la teinture avec Indigood, une teinture en mousse qui réduit l’utilisation de produits chimiques de 89% et la consommation d’énergie de 65%, et ne consomme pas d’eau du tout.
Des traitements au laser et à l’ozone
Des alternatives « propres » au sablage et ponçage existent. Pour donner l’impression d’un jean usé, on utilise des lasers pour créer des bandes décolorées et l’ozone – au lieu de l’eau- pour délaver le denim. Le laser altère la surface du fil par brûlure. Le lavage à l’eau de Javel est remplacé par de l’ozone apposé sur un jean humidifié puis rincé. L’ozone, qui se transforme alors en oxygène, réduit la consommation d’énergie et la consommation d’eau.
De plus en plus de marques lancent des collections ou capsules de jeans plus responsables. Levis a mis au point une vingtaine de techniques non brevetées, et donc ouvertes à tous, pour économiser l’eau dans la fabrication. Chez Lee, la ligne « Back To Nature » propose des pièces totalement biodégradables réalisées à partir de fils de coton et lin sans rivet.
Reste un problème de taille : la recyclabilité du jean. Sur ce point, la Fondation Ellen MacArthur a établi un cahier des charges pour produire des jeans en économie circulaire : The Jeans Redesign. Et des initiatives de leasing, location, upcycling* et réparation voient le jour.
C’est vrai, le jean parfait n’existe pas encore mais seriez-vous prêt à abandonner ce vêtement mythique et indispensable ?
*UPCYCLING : pourquoi ne pas vous offrir une pièce en denim recyclé sur le site Bagarreuse ?
@bagarreuseparis est une jeune pousse parisienne de prêt-à-porter, créée par Simon et Julia en novembre 2020. Une marque éco-responsable qui fabrique ses collections uniquement à base de chutes de tissus ; l’upcycling est donc au coeur de leur concept… et de leur nom de marque. Dans les 5 dernières lettres de Bagarreuse, vous pouvez lire RE-USE !